Hardis crayons

Publié le par M la Miette

L'œuvre de Bill Plympton est à la galerie Chappe. Retour sur le slalom frénétique de mes pupilles entre les planches de story-boards, les croquis et les dessins de ce maître de l'animation indépendante.

J'y allais, il faut bien le dire, avec un maximum d'à priori. Le dernier accrochage organisé par le lieu (consacré aux dessins de Winshluss) ayant frôlé la catastrophe apocalyptique avec ses bouts de scotch pendouillant, ses cadres accrochés à hauteur de géant et ses malhabiles marquises fait maison (l'ensemble sentait bon l'atelier de bricolage entre copains incontestablement doués pour le découpage). Là, surprise, rien de tout ça, mais un petit parcours fort bien foutu avec des œuvres bien alignées (on se serait enfin offert un niveau à bulles ?), encadrées avec un respect certain, des cartels explicatifs clairs, nets et concis, et un moniteur vidéo diffusant un documentaire sur l'œuvre du maître et le maître à l'œuvre. Jubilation. D'autant que Plympton, sympathique gaillard aux allures de père tranquille (à qui faut pas trop la faire quand même), était présent pour donner de sa personne, faire la promo de son dernier long métrage animé, Des idiots et des anges, tout juste sorti sur quelques écrans, et signer à tour de bras ses croquis vendus au prix dérisoire de 10 euros. Re-jubilation. 

On saluera au passage l'une des rares galeries (en fait, la seule en France) capables de se mouiller pour accueillir ce travail peu diffusé. Peu suivi sans doute en raison d'une forme et d'un fond non consensuels et d'une mise en œuvre en totale autonomie. Parce que oui, ce résistant de Plympton opère majoritairement seul. Ses long-métrages d'animations naissent à raison de trente mille dessins crachés en solitaire, faisant de ce forçat du crayon l'un des rares illustrateurs totalement indépendants économiquement. Les recettes du film précédent servant à alimenter la production du suivant. Cette autogestion lui permet de conserver ce ton acide, cette ligne tranchante, ce goût de l'absurde, cette savoureuse mixture entremêlant sexe, violence et poésie qui constitue sa marque depuis son premier film, Boomtown, en 1983.

Sa dernière mouture est à ne pas manquer. Sans doute le moins barré de tous ses films,  Des idiots et des anges n'en reste pas moins l'un des plus oniriques. Angel, personnage égoïste et mufle, se voit forcé de faire le bien à partir du jour où des ailes lui poussent dans le dos. Le combat de l'homme en lutte avec sa métamorphose sera sanglant. Avec pour fil rouge l'indémodable et moralisateur concept du bien et du mal, Plympton parvient à mettre au monde une jolie perle. Il ne délivre pas de sermon, flirtant plutôt avec le conte philosophique. Surtout il renoue avec la spontanéité du geste et l'urgence du trait hachuré (mises de côté dans Hair High au profit d'un dessin plus léché et d'une palette de couleurs bubble gum). Il inonde le tout de couleurs ténébreuses et plonge ses spectateurs dans l'atmosphère noire d'un vieux polar. Les plans se succèdent dans un enchaînement parfaitement fluide de formes, d'idées, de trouvailles. On en sort grisé, affublé, en toute logique, d'une banane à la place de la bouche.

Tlj de 14h à 20h, jusqu'au 31 janvier à la galerie Chappe, 4, rue André-Barsacq, Paris 18e.

Image © Ed Distribution

Publié dans expos

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